Philip D. Jaffé


La cause des enfants emporte l’adhésion tacite de tous, le consensus est absolu! Qui clamerait ouvertement que l’action humanitaire en faveur des enfants est déplacée? Qu’il convient d’abandonner à leur sort des enfants qui survivent, sans famille et sans soutien adulte, «en situation de rue» (expression favorisée par mon collègue Daniel Stoecklin dont la thèse et bien des publications portent sur la question)? Personne ou presque. L’écart entre cette réalité de la bonne conscience par omission et l’implication active en faveur des enfants les plus vulnérables est un gouffre énorme que bien des individus et plein d’organisations gouvernementales et non gouvernementales tentent de combler... tant bien que mal! Du bon côté, Casa Alianza est emblématique de ce que des personnes peuvent accomplir lorsqu’elles sont animées par cette notion de «gemeinschaftgefühl», une sollicitude sociale engagée et volontaire, qui refuse de se laisser entraîner dans la délégation des responsabilités. Et s’il faut autant de conviction que de méthode dans pareil engagement: Casa Alianza en est l’alchimique alliage.

Examiner les programmes et les objectifs de Casa Alianza, c’est être convaincu du bien fondé de l’action. Il y a bien entendu les interventions sur mesure en faveur d’enfants en situation de rue, le soutien qui vise une réhabilitation holistique jusqu’à, dans les meilleurs cas, la réinsertion dans un noyau familial. Mais intervenir n’est que réactif et peut devenir décourageant lorsqu’on constate que la source ne tarit pas, que les enfants continuent à peupler le champ d’action, à survivre en situation de rue. L’action se déroule donc heureusement également en amont, au niveau de la prévention, pour tenter d’endiguer les facteurs de risque qui, en lien avec les conditions sociales, pourraient entraîner la désaggrégation de la famille et la désocialisation des enfants. Car, il n’y a pas de miracle: la santé sociale d’une famille et le soutien aux mères reste la plus efficace et la plus universelle formule de protection des enfants. Toutefois, renforcer la famille n’est qu’une partie de l’équation. Il y en a d’autres: prévenir les catastrophes démographiques et familiales liées à la propagation du VIH, ou encore lutter contre la criminalité dont la denrée commerciale est constituée d’enfants.

Mais le champ social est complexe et les acteurs sont nombreux. Beaucoup de segments de la population doivent se profiler politiquement pour défendre leurs intérêts (par ailleurs, le plus souvent légitimes): fonction publique, sociétés professionnelles, retraités, personnes souffrant d’un handicap, prostituées, j’en passe et des meilleurs. Et les enfants dans tout cela? Qui promeut et défend leurs intérêts de manière organisée? Il faut que la société civile soit informée des besoins des enfants, que leurs voix soient entendues dans les cercles professionnels avec lesquels ils sont en contact (les enseignants certes, mais également par exemple les policiers), que les politiciens soient renseignés sur les vrais problèmes des plus petits dans nos sociétés.

Cette bataille est rude et le point de ralliement est désormais la Convention des Nations Unies relatives aux Droits de l’enfant. Ici aussi Casa Alianza se trouve dans les tranchées aux côtés des personnes et des organisations qui ont compris que ce document pose les bases légales de la place des enfants dans nos différentes sociétés et intime au monde adulte, dans un langage adapté aux adultes, l’obligation d’écouter, tant l’enfant individuel que tous les enfants.

Philip D. Jaffé,
Directeur de l'Institut universitaire Kurt Bösch (2009)