Valérie Tabachnik


Une journée à Casa Alianza Mexico Le 4 août 2016, nous avons rendez-vous à 8h00 avec les équipes de Casa Alianza Mexico. Nous faisons la connaissance de Jessie et de Aidee qui ont organisé cette journée pour nous, deux jeunes femmes adorables dont nous avons apprécié la disponibilité et le professionnalisme au cours des dernières semaines à travers les e-mails et téléphones que nous avons échangés.

Avec elles, nous suivons pour la matinée les éducateurs Carla, Jorge et David. Chacun porte un sac à dos contenant le nécessaire pour un premier secours, des jeux, un bloc note, un stylo. Ils portent une chemise et un badge Casa Alianza.

Leur quotidien est d’aller à la rencontre des enfants dans la rue à Mexico City ; ils forment la Street team. Ils apportent présence, réconfort, assistance. Aux enfants qui seraient concernés, ils parlent du centre de jour et leur proposent de le rejoindre pour se détendre, voire entamer une démarche de réinsertion.

Ils font le tour de 70 zones tous les mois pour rencontrer les 300 enfants qu’ils suivent. 150 d’entre eux sont déjà passés par le pre-communidad center et 50 ont été accueillis dans les différentes résidences de Casa Alianza Mexico. Un grand centre de 190 places est en construction pour janvier 2017 pour accueillir davantage de jeunes.

La politique de Casa Alianza est d’aider les enfants à sortir de la rue. Les éducateurs ne font rien qui puisse les aider à y rester : pas de distribution de nourriture ni d’habits. Ils les aident en revanche à obtenir des papiers, ce qui implique de lourdes démarches administratives une fois la parentèle reconstituée, premier obstacle puisque nombre d’entre eux et leurs parents n’ont jamais été inscrits nulle part.

Nous les suivons et arrivons sur la place del Pueblo où cohabitent des gens des rues et des enseignants en grève.

Mama Dulce a trois enfants de 6, 7 et 8 ans et attend son quatrième. Elle vit avec son mari Jamilet et un autre jeune de 19 ans qu’elle considère comme son fils, qui a déjà une compagne et des enfants.

Cette famille élargie vit sous des toiles, dans une tente, à côté des manifestants.

Mama Dulce se fait un point d’honneur à éduquer ses enfants, les envoie à l’école du quartier habillés correctement en attendant un logement incertain.

Nous passons près d’une autre grande tente où réside un autre clan. Deux jeunes hommes sommeillent encore et nous rencontrons un troisième qui arrive en nous voyant. Il nous raconte ses problèmes d’alcool, de drogue, son impossibilité à s’en sortir.

Au détour d’une rue proche, nous entrons sous une toile tendue contre un mur, sur un large trottoir. Une vingtaine de jeunes hommes et quelques jeunes filles dorment encore. Des matelas posés sur le sol, des couvertures trouées, des amas d’habits, une télé allumée qui ne marche pas, des restes de boissons par terre.

David nous prévient que nous devrons partir vite s’il ressent de l’agitation causée par notre présence. Quelques jeunes se réveillent, surpris de nous voir, mais rapidement mis à l’aise par la présence de David et Jorge. Une jeune fille se cache sous sa couverture mais les autres entrent dans la discussion. Ils sont rieurs, acceptent de se faire photographier. Nous savons les problèmes de ce type de groupe, les ravages de la drogue et de l’alcool, les MST et grossesses non désirées, les plaies de coups de couteaux qui ne cicatrisent pas correctement faute de soins.

Au bout d’un moment, nous devons partir à la demande de David.

En attendant David, nous parlons avec Helminda, assise dans la rue sous l’emprise de sa drogue. Elle nous raconte qu’elle a 26 ans, se prostitue, a été enceinte 5 fois, a perdu 4 bébés et un a été adopté. Elle a fait quelques tentatives de désintoxication mais est toujours dans la rue. Cette jeune femme est marquée par les cicatrices qui racontent sa vie et garde un léger sourire en nous parlant de sa recherche d’un nouveau centre. Nous la reverrons le lendemain au même endroit mais elle ne nous reconnaît pas.

Une ado nous rejoint sur une place un peu plus loin, son chien sur les talons, elle s’appelle Alundra. Elle ne parait pas gênée par notre présence et plaisante avec David parce qu’elle n’est toujours pas venue au pre-communidad center. Nous savons que cela implique un séjour en clinique pour se désintoxiquer avant, quitter son clan, sa rue. Nous comprenons la difficulté du travail de Casa Alianza. Alundra ne veut pas quitter ce monde où elle se prostitue pour acheter sa drogue et celle de ses proches, où la violence est quotidienne. C’est sa vie, elle n’en connaît pas d’autre, elle aime son clan, son chien. Elle a 13 ans.

Nous jouons avec elle un petit jeu où il faut reproduire des constructions dans un temps limité. Pendant quelques minutes, elle redevient une enfant, elle rit et laisse sa main contenant le chiffon imbibé d’éther de côté, même si Carla la retient parfois de le mettre à son nez, pour la stimuler et lui laisser quelques instants d’enfance dans sa journée.

Après avoir pris nos 3 enfants à l’hôtel, nous nous rendons au premier centre que nous visitons l’après-midi.

30 enfants et adolescents par jour se rendent dans ce pre-communidad center, composé d’ateliers le matin et l’après-midi. C’est l’occasion pour eux de prendre une douche, manger une collation préparée par Gaby, dans les cuisines depuis 4 ans, se faire prêter des vêtements et pratiquer les premières expériences d’une vie plus conventionnelle. En effet, les jeunes savent que pour venir, quelques règles sont incontournables : no sex, no drug, no violence. Dans le cas où ces règles sont transgressées, un éducateur redonne des explications pour s’assurer que l’enfant ou l’ado les a comprises et, éventuellement, lui demande de partir pour revenir le lendemain

Les ateliers se déroulent dans une salle, autour d’une grande table. Les jeunes font des exercices ludiques pour connaître les règles de base en mathématique, géographie, dessiner et surtout se détendre et rire dans un environnement sécurisé et adapté à leur âge. A l’étage, un espace est aménagé pour eux, avec un foot de table, des livres, des jeux, des matelas pliables.

Ce centre permet aussi aux jeunes d’avoir des entretiens individuels et une coordination avec d’autres associations de réhabilitation est faite par les éducateurs de Casa Alianza.

Intégrer ce centre à la journée permet aux enfants et adolescents de découvrir différentes étapes importantes. Commencent les règles et la discipline. Leur habitude de la rue est de survivre, dans la violence. Ils veulent tout, tout de suite ou sinon, entrent dans la confrontation. Dans ce centre, ils peuvent prendre leur temps, prendre confiance en eux, réussir à être de plus en plus calme. Le fait de respecter quelques règles et respecter les autres les préparent à la vie en communauté des résidences.

L’outil d’apprentissage principal est le jeu dans un cadre de thérapie cognitive. Les jours de la semaine sont assez denses mais le week-end est plus détendu, avec distribution de bonbons et de récompenses.

Après cette visite, nous nous rendons dans un centre où des adolescents résident.

35 garçons jusqu’à 18 ans vivent dans Communidad Cenzontle Paloma pour poursuivre leur intégration et préparer une vie adulte hors de la rue.

En arrivant dans ce centre, nous suscitons des commentaires et des regards insistants.

Ils nous attendent, tous réunis dans le grand salon. Nous nous présentons à tour de rôle, les éducateurs, les garçons, puis nous. Ces jeunes sont assez sages, nous sentons qu’une discipline de fer est essentielle dans ce centre même si des rires fusent souvent. Ils ont entre 11 et 18 ans. Tous vont à l’école et nous savons que tous ont réussi la première étape qui leur permet d’envisager une formation et une vie autonome par la suite.

A leur arrivée, 15 jours sont nécessaires pour bien comprendre les règles et commencer à les appliquer.

Au premier étage logent 19 garçons, dans des dortoirs de 1 à 4 lits. C’est ici qu’ils sont installés à leur arrivée et durant les premiers temps de leur vie au centre.

Tous les dortoirs sont bien rangés. Chacun dispose d’un espace pour ses habits et ses effets personnels. Les lits sont faits, les étagères organisées et la décoration typique d’une chambre d’ado, avec dessins et posters.

Le deuxième étage est réservé aux garçons bien acclimatés. Y accéder est une reconnaissance. Dix jeunes y vivent en ayant acquis les règles et les valeurs du centre. Ils vont à l’école ou suivent une formation.

Au plus tard la veille de leurs 19 ans, les jeunes doivent quitter le centre. Casa Alianza continue de les suivre ensuite pendant 10 mois.

Un timide jeune homme qui suit une formation pour être réparateur en informatique depuis 9 mois refuse qu’on le photographie. Garrett a 15 ans, sait la chance qu’il a d’être là tout en pouvant passer ses week-ends chez sa grand-mère.

12 filles habitent dans une maison pouvant en recevoir 16, la Communidad Quetzal.

L’ambiance est plus calme, sous l’impulsion de la manager.

Les filles ont entre 12 et 17 ans. Comme chez les garçons, on s’assied en cercle pour se présenter, les uns après les autres. Elles viennent de tous horizons. Rosa a 17 ans et vient du Salvador, Usulutan. Elle nous raconte qu’elle a quitté sa ville avec son père et sa mère pour les Etats-Unis. Ils n’y sont jamais arrivés et sont tous séparés. Son père est au Guatemala et sa mère est dans une autre ville du Mexique. Les filles sont enjouées et semblent à l’aise de parler devant nous, même si certaines jeunes filles restent plus silencieuses.

Hogar Quetzal est la dernière maison que nous visitons, destinée à 12 jeunes filles entre 15 et 18 ans. Une seule est présente, les autres sont à un marché. Dans ce centre, les filles sont prêtes à prendre leur envol, même si des peluches dorment toujours dans leur lit.

Durant cette journée, nous avons ressenti plusieurs sentiments. La tristesse et la révolte de voir tant d’enfants et de jeunes abandonnés à leur sort dans la rue, dans des conditions dramatiques, drogués, prostitués, marqués par des cicatrices et des plaies sur tout le corps.

L’étonnement de voir que malgré tout, ils restent joyeux, avides de discuter et de nous raconter leur vie. C’est leur monde, leur fonctionnement, et même si la rue est faite de violence qui les marque physiquement et psychologiquement, ils n’en connaissent pas d’autre et s’y sont habitués. Ils parlent d’améliorer leur quotidien, mais s’insérer dans un autre modèle de société signifierait quitter les leurs, leur clan, leur chien, leur dépendance, perdre les repaires et la relative sécurité affective qu’ils ont trouvés. Les rencontrer régulièrement, pour discuter, jouer, leur donner des nouvelles de l’avancement des tracasseries administratives pour leur obtenir un document d’identité est indispensable et bénéfique pour eux.

Nous avons été impressionnés par le professionnalisme de toutes les personnes que nous avons rencontrées. Les éducateurs, David en tête, ont une expérience éprouvée. Nous nous sommes sentis en totale sécurité durant notre journée avec eux. Chaque enfant ou adulte rencontré est traité avec le plus grand respect, humanité et le cœur à cœur semble leur règle de vie professionnelle.

Nous avons découvert à quel point Casa Alianza est structurée dans l’accompagnement des enfants et adolescents, que ce soit dans la rue ou dans ses centres. Les règles sont claires, le processus est détaillé et très pragmatique. Les enfants qu’ils recueillent ont la garantie d’être accompagné jusqu’à l’âge adulte, et au-delà, dans des conditions agréables et semblables à une large famille.

Nous avons vu l’application des projets de Casa Alianza Suisse et avons compris à quel point tout dépend du professionnalisme des personnes engagées pour faire cette mission auprès des enfants, dans la rue ou dans les centres. A quel point la continuité du soutien financier apporté par Casa Alianza Suisse à Casa Alianza Mexico est importante pour cette organisation qui s’engage grâce à nous auprès des enfants et ne peut les abandonner en chemin. A quel point Carla, Jorge, David et tous les autres méritent qu’on les soutienne dans leur mission.

Merci à Margot, Jessie, Aidee, Carla, Jorge, David et tous ceux qui nous ont permis de vivre cette journée qui restera à jamais ancrée dans nos cœurs.

Valérie Tabachnik Podesta - 2 décembre 2016